Vivre avec nos morts, de Delphine Horviller

Ce livre récompensé par le Prix Babélio essai mériterait bien plus de cinq étoiles, c’est l’un des plus beaux et plus profonds que j’aie lus depuis bien longtemps. La version audio, lue par l’auteure y ajoute encore une dimension supplémentaire, sa voix sonne toujours juste et on se sent en empathie avec elle. Elle nous transmet avec délicatesse et pas mal d’humour un contenu grave qui aurait pu être juste tragique. J’ai passé plus de cinq heures merveilleuses en présence de cette conteuse hors pair, je ne peux que remercier vivement Netgalley et Audiolib pour ce livre que je conseille chaleureusement.

Delphine Horvilleur est rabbin, ce qui n’est pas très fréquent pour une femme, elle est donc issue de la tradition libérale, les rabbins orthodoxes étant uniquement des hommes. Elle traite surtout de la mort et de l’accompagnement des endeuillés dans ce livre, ce qu’elle fait avec une grande délicatesse. Elle en profite pour nous expliquer certains textes et traditions juifs à ce sujet.

Elle parle de différentes personnes qu’elle a accompagnées, parfois célèbres comme Simone Veil ou la psy de Charly Hebdo, mais le plus souvent des anonymes, dont une amie proche décédée d’un cancer. Dans ce cas, elle a dû jongler entre son rôle d’amie qui pleure et celle de rabbin qui ne peut se laisser submerger par ses émotions. Cette amie meurt d’une tumeur au cerveau qui la fait devenir peu à peu une autre tout en restant aussi elle-même. C’est l’occasion d’évoquer Rebecca, enceinte des jumeaux Isaac et Esaü, lesquelles sont entrés en conflits dès leur conception, déchirant leur mère de l’intérieur, avant de passer toute une vie de conflits fraternels. Chaque histoire est l’occasion de nous parler d’un texte biblique célèbre et je dois dire que j’en ai été très touchée. Venant d’un milieu protestant, je connais tous ces récits, mais c’est très enrichissant d’en lire les interprétations faite par Mme Horvilleur, parfois proches des nôtres et parfois très différentes. Et ces différences m’ont fortement interpelée, j’aime cette polyphonie du texte biblique qui est complètement ouverte. Chez les protestants comme chez les juifs, les morts sont enterrés dans un linceul blanc, qui rappelle la tenue des Cohen et pas en habits de ville.

J’ai beaucoup aimé aussi son interprétation du sionisme, elle oppose un sionisme de propriétaires celui de l’assassin de Rabbin en 1995, qu’elle ne peut accepter à un sionisme de passage, fait des traditions accumulées au cours de l’histoire. Elle se trouvait dans la manifestation après laquelle le premier ministre a été assassiné et qui marque la fin de sa relation amoureuse avec un soldat issu d’un kibboutz ainsi que son désir de revenir en France, elle ne se sent plus chez elle sur cette terre où le sang a trop coulé. Elle parle d’un texte prophétique et très intéressant de Gershom Sholem, écrit en 1926. Ce grand mystique vivait il y a un siècle en Israël qui n’était pas encore un pays. Des utopistes totalement laïcs ont entrepris de faire revivre la langue hébraïque, il les a mis en garde, disant que ce projet était une bombe à retardement car on ne pourrait pas dépouiller la langue de sa violence et de ses traditions messianiques, ce qui entraînerait une catastrophe un jour ou l’autre. Notre auteure situe l’explosion de la bombe lors de l’assassinat de Rabbin, quand le sionisme de propriétaire prend le dessus en Israël.

J’ai aussi été touchée par la façon dont elle parle avec délicatesse des familles, principalement des descendants des victimes de la Shoah, pour la plupart murée dans le silence et qui seront des victimes collatérales bien longtemps après les faits. Deux autres histoires m’ont encore particulièrement touchée, celle du frère d’Isaac, qui a perdu son petit frère et qu’elle encouragera grâce à l’histoire d’Issac le patriarche., c’est plein de délicatesse et de résilience. Sa propre expérience de la transgression du fruit de l’arbre de vie, sous forme d’un jouet en plastique parlera à chacun d’entre nous, on est loin de la culpabilité et du péché originel, mais au plus près d’une expérience que tous les enfants ont fait, ce qui est bien rafraîchissant.

Je pourrais parler des heures durant de ce merveilleux livre mais je conclurai sur des aspects qui m’ont beaucoup surprises, même si je ne les ignorais pas totalement. Tout d’abord la liberté avec laquelle les sages du Talmud dialogue avec Dieu et n’hésitent pas à le renvoyer dans les cordes. L’épisode de la construction du four est très parlant, l’un d’eux démontre à plusieurs reprises qu’elle doit se faire ainsi, ce que Dieu confirme par des miracles alors que les autres sages décident à la majorité qu’il faut faire autrement et que Dieu n’a qu’à se plier à la volonté démocratique de la majorité… j’avoue que mon petit fond pentecôtiste en a presque été choqué : Si on demande à Dieu quelle sa volonté c’est pour s’y plier et pas lui ordonner de faire la nôtre, même s’il s’agit là d’un sujet bien trivial. Le manque de perspective eschatologique m’a également beaucoup surprise, il n’y a aucune représentation de l’après-mort. On ne tranche pas entre les diverses possibilités : néant, réincarnation ou résurrection.

Un livre qui permettra à chacun de trouver un sujet d’intérêt.

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