J’ai beaucoup aimé Le chant des innocents lu il y a quelques mois et qui m’a donné envie de poursuivre la découverte de cet auteur. Après le nord de l’Italie, direction la Sardaigne pour un ethno-polar très réussi. Mara Raïs et Eva Crocce ont été affectées aux cold case de la police de Cagliari pour avoir désobéi à leurs supérieurs, la première est une locale tandis que la seconde arrive de Milan. Mara n’aime pas travailler en binôme et réserve un accueil très frais à sa collègue. Le commissaire leur demande de rencontrer Moreno, un vieux flic sur le point de mourir d’un cancer et obsédé par deux meurtres rituels qu’il n’a pas pu élucider dans les années 1970 et 80. Depuis il a consacré tous ses loisirs à son enquête, classée depuis longtemps, devenant la risée du commissariat. Les deux femmes l’écoutent patiemment, mais aucun indice ne permet d’avancer, elles ne comptent pas rouvrir le dossier, toutefois elles ne le lui disent pas pour adoucir ses dernières semaines. Quelques jours après cette entrevue, un nouveau crime rituel est commis, à première vue semblable aux précédents. Le commissariat manquant d’effectif, les deux femmes rejoignent l’équipe qui enquête sur ce fait. Certaines différences font penser à une copie, une secte néopaïenne et un professeur d’archéologie sont rapidement mis sur la sellette, les chefs sont sûrs de tenir les coupables mais les deux inspectrices sont d’un autre avis. Dans le même temps, on suit les agissements d’un inquiétant garde-forestier.
Ce polar nous entraîne loin de la Sardaigne touristique, dans une région reculée marquée par la culture nuragique (celle du Paléolithique sur l’île). La nature est très présente, avec des paysages âpres, des odeurs d’herbes aromatiques, la beauté de la mer ou des monuments nuragiques. Il alterne habillement le moment présent et les meurtres non résolus qui hantent Moreno. Les chapitres sont courts, le rythme haletant et le dénouement complètement inattendu, nous retrouvons donc tous les ingrédients d’un excellent polar. Je ne lui donne toutefois pas cinq étoiles car il reste de nombreuses questions ouvertes : le véritable tueur sera t’il découvert ? Pourquoi et comment la hiérarchie politico-policière est-elle impliquée ? C’est le premier tome de la série, peut-être aura-t’on les réponses dans les opus suivants, le troisième vient d’ailleurs de sortir.
Les deux enquêtrices sont comme chien et chat, en butte à leur hiérarchie, aussi un classique du polar. Mara est assez lisse, elle est en colère contre le préfet qui l’a harcelée sexuellement, mais Eva est un personnage beaucoup plus intéressant. Elle porte un lourd secret, qui l’empêche de vivre, ce poste représente un nouveau départ, elle arrivera finalement à déposer son fardeau. C’est un personnage complexe et attachant, tout comme Moreno.
L’aspect le plus passionnant de ce polar concerne la culture nuragique et mythologique, très documentée. On adorait la déesse mère et le taureau, symbole de fertilité, on pratiquait des sacrifices humains. La réflexion sur les sacrifices est vraiment intéressante et très bien construite. On trouve ce besoin dans toutes les religions, ce roman amène un éclairage étonnant et quelque peu dérangeant sur le christianisme, aussi basé sur un sacrifice. Cette vision d’une divinité sanguinaire pose question. La renaissance – ou la subsistance- du paganisme m’interroge, j’ai beaucoup aimé cet aspect du roman, plutôt rare dans les polars.
Je compte lire prochainement le deuxième volet, L’illusion du mal. Ce roman mérite toutes les louanges qu’il a reçues.