Cendres ardentes, de Marc Voltenauer

Mirjan, un Albanais qui vit en Suisse depuis trente ans retourne au pays pour enterrer son épouse, mais il se fait assassiner au cimetière par Halim. Leurs deux pères avaient conclu une trève, mais Halim la refuse et reprend à son compte la vendetta qui oppose les deux familles depuis des décennies. Après ce crime, Sokol, frère ainé de Mirjam vient en Suisse pour reprendre les rennes de la famille. Il désire mettre fin à ces massacres et refuse de commettre un nouveau meurtre pour venger son frère. Son neveu Skänder un trafiquant de drogue notoire veut absolument laver l’honneur de la famille et s’oppose fortement à son oncle.

Une baigneuse trouve un gros sac d’ordures dans le lac Léman, elle le ramène sur la berge pour le jeter dans une poubelle, mais un torse humain putréfié se trouve à l’intérieur. Andreas Auer et sa brigade sont appelés sur les lieux de cette macabre découverte, dans les jours suivants ils recherchent les autres parties du corps et les mauvaises surprises s’enchaînent.

Nous suivons ces deux intrigues en parallèle qui nous feront découvrir les méthodes de la police scientifique et les arcanes de la diaspora albanaise en Suisse. L’auteur insiste sur l’intégration de cette communauté, soulignant que Skänder, qui occupe une place centrale dans le roman est l’exception qui confirme la règle. La grande majorité des Albanais vit et travaille selon les habitudes suisses malgré les préjugés qui leur collent à la peau, même si la situation s’est améliorée depuis les années 1990. En Albanie aussi les mentalités se sont ouvertes, le pays a connu une terrible dictature et à sa chute une situation d’anarchie qui a largement profité au crime organisé, les habitudes de corruption perdurent mais l’Etat, qui est candidat à l’UE fait un gros effort pour lutter contre ses démons depuis 2014. Deux des personnages du roman font un voyage dans ce pays, ce qui est l’occasion de nous expliquer son histoire récente et son évolution.

Tous les chapitres commencent par une citation d’un ouvrage traditionnel albanais qui était le code de conduite autrefois, en particulier sur l’honneur. Sokol et Skänder incarnent les deux visions de cette tradition, le premier veut n’en garder que l’esprit, il refuse la vendetta aveugle sur des générations alors que son neveu désire l’appliquer au pied de la lettre et ce d’autant plus que c’est un vrai psychopathe comme nous le découvrirons au fil de l’intrigue. Même si ce personnage est très noir, je pense que cette tension entre modernité et tradition traverse réellement la communauté albanaise, tout comme d’autres communautés immigrées. L’auteur nous permet de la découvrir dans une optique de tolérance et de reconnaissance réciproque. On retrouve sa générosité et son esprit de tolérance.

On retrouve également l’érudition qui caractérise les polars de Marc Voltenauer. Les personnages sont très travaillés et réalistes, ils ont une vraie épaisseur et on a l’impression qu’on pourrait vraiment les croiser dans les rues d’Aigle. L’auteur ne laisse rien au hasard et son roman est très documenté. On retrouve aussi les thèmes qui lui sont chers, la tolérance, la foi et l’homosexualité. J’ai aussi beaucoup aimé la réflexion sur les traditions albanaises et bibliques, sur l’importance de l’esprit contre la lettre. Sans compter les informations scientifiques, maintenant je sais comment immerger un cadavre dans le lac et l’empêcher de remonter ! J’ai aussi retrouvé avec plaisir Erica à la fin du roman, l’héroïne de son premier livre, Le dragon du Muveran. C’est toujours un grand plaisir de découvrir une nouvelle aventure d’Andreas.

Un grand merci à Delphine des Editions Slatkine pour ce roman que j’ai eu la chance de lire en avant première. Et aussi à l’auteur qui me l’a dédicacé. C’est toujours une joie de recevoir un livre en service de presse mais c’est exceptionnel d’y trouver une dédicace personnelle, c’est un geste généreux, qualité dominante dans l’oeuvre de l’auteur qui nous permet de découvrir à travers ses intrigues différentes communautés suisses, qu’il s’agisse des agriculteurs (Qui a tué Heidi?) ou des immigrés polonais (Les protégés de Sainte Kinga) ou albanais ici. J’ai aimé tous les polars de l’auteur et je vous invite vivement à les découvrir.

Cinq petits Indiens, de Michelle Good

Un grand merci à Babélio pour ce livre coup de coeur reçu lors d’une MC privilégiée. Je connais mal la culture amérindienne et j’ai apprécié de découvrir une des faces sombres de l’histoire récente du Canada. L’an dernier la découverte de tombes d’enfants près des anciens pensionnats avait défrayé la chronique, ce roman, écrit par une Amérindienne et basé sur les souvenirs de sa mère nous plonge dans cette tragédie qui a duré plus d’un siècle. On pourrait penser que de telle pratique sont très anciennes, mais non, le dernier pensionnat a été fermé seulement en 1996, c’est dire il y a moins de trente ans.

Nous suivons cinq personnages, Howie, Kenny, Lucy, Clara et Lilly depuis leur enfance. A l’âge de six ans, ils sont emmenés au pensionnat, car c’est obligatoire pour les enfants Indiens, les autorités veulent les couper de leur culture pour les assimiler. Certains parents acceptent à contre coeur cette loi, d’autres essaient d’y soustraire les petits, mais la police veille et les cinq enfants se retrouvent enfermés dans une institution gérée par l’Eglise catholique. Ils y seront maltraités et abusés durant dix ans. Kenny arrive à s’échapper, Howie est enlevé par sa mère et son oncle, Lilly comme de nombreux autres enfants mourra. A l’âge de seize ans, ils sont envoyés à Vancouver. Ils sont des survivants, n’ont aucun repère, plus de contact avec leur famille et doivent se débrouiller dans une société qui ne leur fait aucun cadeau. Ils n’ont pas été préparés à la vie professionnelle et sont exploités dans de mauvaises conditions, que ce soit comme femmes de ménage, bucheron ou ouvriers agricoles. Maisie connaîtra même la prostitution et une mort prématurée. Lucy deviendra infirmière et Clara militera pour les droit des indiens.

J’ai été touchée par ce roman très noir et le destin bouleversant de ces enfants. C’est un témoignage implacable sur la domination que les Blancs exercent sur les Amérindiens. Je suis choquée que ces méthodes dignes de l’Inquisition espagnole aient pu perdurer presque jusqu’à notre époque. L’Eglise et l’Etat se sont unis pour asservir les peuples autochtones après avoir pillé leurs terres et leurs ressources. Les adultes n’ont pas été préparés à la compétition qui sévit dans nos sociétés et se retrouvent dans des emplois précaires, exploités une fois de plus, beaucoup sombrent dans l’alcoolisme.

L’auteure est une avocate qui a aidé les survivants des pensionnats à faire reconnaître leur statut de victime, ce qui a permis à certains de faire leur deuil et de pouvoir enfin avancer. J’ai été très touchée par ces personnages, inspirés de l’histoire de sa mère. La grande majorité des survivants connaîtra un sort tragique, la prison, l’alcoolisme, la drogue et surtout l’exploitation. Kenny et Howie illustrent ce chemin de croix. Clara et Lucy sont des personnages lumineux qui tranchent avec la noirceur ambiante, elles sauront s’en sortir et mener une vie intéressante, mais elles sont une exception. Kendra la fille de Lucy échappera à ces horreurs et ne comprendra jamais l’instabilité de son père, détruit par les abus. Ainsi même la génération suivante souffrira de cette tragédie.

Clara pourra renouer avec ses racines et aider les autres survivants, ce qui lui permet de retrouver du sens et de vivre vraiment au lieu de survivre. C’est un chemin de guérison. J’ai regretté que la culture de la vieille chamane ne soit pas plus explicité, c’est un personnage très attachant.

J’ai beaucoup aimé ce roman témoignage et je lui souhaite grand succès afin que nous connaissions aussi ce génocide.

Nos rendez-vous d’Eliette Abecassis

Vincent et Amélie se rencontrent à la fin des années 1980 devant le secrétariat des inscriptions à la Sorbonne. Ils vont vont boire un verre, parlent toute la nuit et se donnent rendez-vous le lendemain à dix-huit heure. La jeune fille panique, ne sait pas comment s’habiller et arrive avec plus d’une heure de retard, de plus elle n’a pas osé répondre au téléphone, Vincent est parti à son arrivée. On suit ces deux personnages durant trente ans, ils se croisent à diverses reprises, se marient et ont des enfants chacun de leur côté avant de divorcer. Bien sûr ils finiront par se retrouver.

L’intrigue est des plus banale, contrairement au style de l’auteure. C’est une sorte de long poème en prose qui nous raconte ces trente années de vie ordinaire et d’histoire manquée. Ils n’ont pas osé reconnaître leur amour et sont passés à côté de leur vie. Je ne suis pas vraiment entrée dans l’histoire et elle ne m’a pas touchée. La particularité de ce texte constitue en de longues listes de mots pour définir des sentiments ou d’autres choses. C’est très poétique. Au début j’ai trouvé très agréable et inattendu, puis je me suis lassée de ce processus très répétitif tout au long du texte. Certaines listes font plus d’une page et j’ai fini par les lire en diagonale.

Ce roman nous raconte l’inévitable usure de l’amour face aux aléas du quotidien. Vincent et Amélie représente l’amour idéal l’un pour l’autre, surtout parce qu’ils ont épousé d’autres personnes qui les ont déçus et qu’ils ont déçus de même. On peut penser que leurs retrouvailles aboutiront au même résultat quelques années plus tard. J’ai apprécié cette vision plutôt réaliste de la vie de couple. Je ne me suis pas sentie concernée ni très intéressée par cette histoire. Un livre vite lu et qui sera tout aussi vite oublié.

#Nosrendezvous #NetGalleyFrance !

L’archipel des oubliés, de Nicolas Beuglet

Une fois de plus, je commence une trilogie par la fin grâce à un livre audio, les épisodes précédents sont résumés et je n’ai pas été perdue, mais je pense que c’est quand même mieux de commencer par le début. En fouillant mon immense pal, j’ai vu que j’avais le premier volume, ce sera donc une de mes toutes prochaines lectures. J’avais entendu dire le plus grand bien de Nicolas Beuglet et je n’ai pas été déçue en découvrant son univers. Le roman est lu par Valérie Muzzi de manière très agréable, sa voix s’accorde très bien à celles des deux héroïnes et je n’ai eu aucune difficulté à me retrouver en Ecosse dans des paysages empreints de mystère.

Grace Campbell se voit adjoindre Sarah Gerringen, une inspectrice norvégienne (héroïne de l’autre trilogie de l’auteur) pour démasquer le Passager. Leur caractère les oppose, mais elles doivent s’unir pour combattre Olympe, la mystérieuse organisation qui veut asservir le monde. Elles n’ont pour tout indice que des coordonnées GPS qui les mèneront vers un manoir perdu dans une lande, loin de tout et où vit une jeune veuve, qui semble avoir bien des choses à se reprocher. Mais ce n’est qu’un début, nos deux héroïnes connaitront des aventures trépidantes avant de rencontrer le plus célèbre habitant du pays.

L’écriture est fluide et le rythme haletant, les rebondissements s’enchaînent, l’ambiance est angoissante. Un moment donné, on passe du thriller au fantastique dans ce roman plein de surprises. Rien n’est ennuyeux ou prévisible.

Ce livre m’a rappelé Impact d’Olivier Norek, on retrouve de nombreuses thématiques communes. A travers une histoire policière ils veulent nous faire réfléchir à l’avenir de la planète. Le Passager en est à la phase trois de son plan, la première consistait à abêtir la population et la deuxième à la terrifier pour mieux l’asservir. La solution se trouve justement sur l’archipel des oubliés, où des repentis d’Olympe mènent un autre projet. C’est dommage que ce soit aussi manichéen, les méchants sont très méchants et les gentils un peu trop angéliques, ce manque de nuance m’a un peu gênée. La réalité n’est jamais totalement noire ou rose. L’auteur dénonce les dérives de la technologie et leur impact écologique, on ne peut qu’être d’accord avec lui, même si cet aspect politique aurait pu être amené avec plus de légèreté. Le chef de l’archipel, dont j’ai oublié le nom, a un côté donneur de leçons peu agréable. Là aussi le message est plutôt lourd et peu nuancé. Sur le fond il n’a pas tort, mais il y a la manière de le dire. Sans la lourdeur de ce message politique j’aurais sans doute donné cinq étoiles, car l’intrigue est vraiment bien ficelée. On trouve des idées complotistes qui m’ont aussi un peu dérangée, je pense que tout n’est pas faux dans ces idées, mais elles manquent de nuance. Par exemple l’idée d’abêtir les populations n’est pas sortie de nulle part, on voit bien qu’on assiste actuellement à un nivellement par le bas, mais Pascal dénonçait déjà le divertissement il y a des siècles.

En résumé, je dirais que j’ai beaucoup aimé l’aspect polar, y compris le côté fantastique mais j’ai trouvé que le message politique manquait de nuance dans sa forme. J’ai beaucoup apprécié l’utilisation de deux mythes qui donnent une optique inattendue. Le Passager incarne à lui seul toutes les dérives de notre société, il a un petit côté Elon Musk ! J’ai beaucoup aimé la forme audio de ce roman qui nous permet une lecture plus immersive. Un grand merci à Netgalley et Lizzie pour cette agréable découverte, je ne manquerai pas de lire le début de cette trilogie

#LArchipeldesoubliés #NetGalleyFrance !

Les grandes oubliées, de Titiou Lecocq

Gros coup de coeur pour ce formidable document qui nous fait redécouvrir, voire le plus souvent découvrir tout simplement l’histoire des femmes, tant nous avons intégré ce que nous avons appris à l’école, c’est à dire l’histoire vue d’un point de vue masculin.

L’auteure explore la thématique de la préhistoire à nos jours afin de remettre en cause les idées reçues. De nombreuses historiennes s’attachent à cette démonstration et elle nous fait part d’une partie de ces travaux. Son idée de base est qu’il ne s’agit pas d’un simple oubli, mais d’une volonté délibérée d’effacer la place et le rôle des femmes au cours de l’Histoire. La société patriarcale s’est mise en place peu à peu depuis la préhistoire et en particulier depuis la révolution néolithique. La préhistoire est très longue et durant ces millénaires les sociétés humaines ont connu diverses organisations, plus ou moins égalitaires. L’idée que les hommes chassaient et les femmes cueillaient près de leur habitation a été infirmée par l’archéologie, les femmes chassaient aussi, même si elle ne tuaient pas les proies de manière sanglante (avec une lance par exemple), non pour une question de force mais à cause de leurs règles. On pensait qu’elles ne devaient pas faire couler le sang.

De l’antiquité à nos jours, la place dévolue aux femmes a changé, l’évolution n’est pas linéaire, elle connaît des avancées et des reculs. Par exemple, au Moyen âge, dans les pays du nord, les femmes jouissaient d’une grande liberté, elles étaient partout, ce qui étonnait les voyageurs venus du sud, régions plus restrictives. Il y avait des peintresses, des bâtisseuses de cathédrales, des chevaleresses etc. Il y a même eu de vraies reines, et pas des reines consorts, comme Frédégonde et Brunéo (ou Brunehilde), certes leurs règnes ont été chaotiques, mais les hommes de l’époque ne faisaient pas mieux en ces temps troublés où on s’assassinait sans état d’âme. La période de la Renaissance marque une grande fermeture, les femmes sont peu à peu renvoyées dans leur foyer, les termes qui désignent leurs métiers sont masculinisés, ce qui entraînent leur disparition puis leur interdiction. C’est étonnant comme la langue est performative. L’époque des lumières est également celle de la chasse aux sorcières, surtout dans les pays germaniques.

Jusqu’à la fin du moyen âge, on croyait que les hommes et les femmes sortaient d’un même moule, mais que les femmes étaient en partie ratée, ce qui prouvait leur infériorité, une idée chère aux clercs qui s’est développée à mesure que s’étendait leur corporation. Plus tard on a cru qu’il s’agissait de deux moules différents, ce qui aurait pu nous être favorable, mais a de fait ancré le patriarcat dans l’idée que la domination masculine s’inscrit dans la nature et qu’on y peut rien. Ces théories ont été renforcées au siècle dernier par les travaux des biologistes et connu leur apothéose avec la notion de mâle alpha issue de l’observation des meutes de loups, on a bien vite gommé le fait que chez ces animaux la domination est exercée par un couple et non un mâle. Mais la biologie a évolué et l’auteure nous explique que la plupart des animaux ne pratiquent pas le patriarcat.

Elle nous explique encore de nombreuses choses passionnantes sur cette disparition des femmes dans l’art, la littérature, la politique etc, mais je vous laisse le découvrir par vous-mêmes dans cet ouvrage vraiment passionnant. Son écriture est fluide et teinté d’humour, cet essai se lit comme un roman. La version audio, lue par l’auteure est parfaite, j’ai adoré ce livre et je le recommande chaleureusement. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour leur confiance.

#LesGrandesOubliées #NetGalleyFrance !

Le fantôme du Vicaire, d’Eric Fouassier

J’ai eu grand plaisir à retrouver Valentin Verne et Aglaé dans ce nouveau volet de leurs aventures. L’inspecteur apprend par un de ses mouchards que le Vicaire est revenu, celui-ci lui propose de le capturer contre une bonne prime, mais il tombe sur plus fort que lui. Valentin reprend sa traque, mais devient rapidement la proie. Toutefois la poursuite du Vicaire est une sorte de loisir, si l’on peut dire, le policier doit aussi s’occuper de son département, le nouveau bureau des affaires occultes. Il s’adjoint les services d’Isidore, un jeune homme qui rêvait d’être garde national mais a fini commis aux écritures du commissariat, ce dernier est enchanté de sa promotion, fasciné par son chef et très motivé dans ses enquêtes. C’est tant mieux car la fragile Madame d’Orval vient au bureau, elle s’inquiète pour son mari. Celui-ci, après avoir perdu sa première femme, est confronté à la mort tragique de sa fille de quinze ans. Un Russe prétend avoir la capacité de parler aux morts, il s’est incrusté dans leur entourage et Mélanie craint pour son mari tombé sous la coupe de cet escroc, elle demande à Valentin de tirer l’affaire au clair. Très occupé par sa propre quête et persuadé que cette histoire est facile à résoudre, l’inspecteur la confie à son jeune adjoint.

Nous suivons ces deux enquêtes en parallèle, notons qu’elles ne se rejoignent pas. Elles sont toutes les deux bien ficelées, même si j’ai deviné avant la fin qui est l’assassin. Les personnages sont très attachants et surtout très travaillés, on a l’impression d’avoir affaire à de vrais personnes qu’on pourrait rencontrer et pas à de simples personnages de romans. Leur psychologie est très bien rendue. Les angoisses de Valentin et son manque de sécurité sont vraiment palpables, il est hanté par son passé et craint de ne pas pouvoir s’engager dans sa relation avec Aglaé. Il essaie de refouler son amour et espère qu’elle ne s’apercevra de rien. Elle n’ose pas non plus lui avouer ses sentiments, se sentant de condition trop modeste, jusqu’à ce qu’il la tire des griffes du commissaire Grondin. Elle saura faire preuve de patience et de maturité pour le rassurer. Leur romance est agréable, ce n’est jamais lourd dans l’intrigue et ça s’intègre de manière très réaliste.

Le plus intéressant est le contexte historique très documenté. L’auteur explique en annexe quelles libertés il a prise avec les faits, l’invention de la photographie est à peine plus récente et celle du diorama un poil plus ancienne. Les avancées scientifiques sont bien décrites, tout comme l’histoire politique et celle des idées. Aglaé s’inscrit dans le mouvement saint-simonnien et le féminisme. Les femmes réclament l’égalité politique, mais devront l’attendre encore plus d’un siècle. On assiste à la naissance de la police scientifique, qui débutera vraiment à la toute fin du dix-neuvième siècle, mais les connaissances utilisées par Valentin sont réalistes, simplement elles étaient très peu en usage en 1831.

J’ai été frappée par le côté très arbitraire de la justice et le pouvoir démesuré de la police qui semble avoir bien peu de comptes à rendre. La corruption règne et Grondin n’hésite pas à arrêter Aglaé sur une fausse accusation juste pour se venger de Valentin et cette pratique était courante. Dans un autre style, notre inspecteur s’érige en justicier, et décide de relâcher une personne coupable dont il estime qu’elle mérite un nouveau départ, tout cela sans concertation avec les autorités. J’ignore si on aura la chance de retrouver nos héros, il y a de quoi écrire une belle série, mais en tout cas j’ai beaucoup aimé les deux premières enquêtes de Valentin, qu’il faut absolument lire dans l’ordre.

La plume de l’auteur est magnifique, très fluide et agréable. Il emploie des mots de vieil argot, en les définissant, ce qui nous plonge encore plus dans le Paris du dix-neuvième siècle, bien loin de l’actuel. Ainsi l’Ile Saint Louis, ce haut lieu touristique y était un quartier mal famé et très dangereux de taudis en ruine. J’ai beaucoup aimé ce voyage dans le passé où le surnaturel recule face à la science.

Le rocher blanc, d’Anna Hope

J’ai découvert cette auteure grâce à Netgalley et Lizzie, qui propose toujours des romans intéressants. Celui-ci a quatre narrateurs pour les quatre personnages de l’histoire, j’apprécie beaucoup cette manière de faire, ainsi on identifie chacun à une voix différente. Je suis sûre que la forme audio m’a permis de mieux profiter de ce texte qui m’aurait moins plu en version texte.

Il s’agit d’un roman choral qui nous emmène au sud du Mexique là où se dresse un rocher blanc dont les Indiens pensent qu’il est l’origine du monde. Les quatre récits sont séparés par de nombreuses années et se divisent tous en deux parties, d’abord on parcourt le temps à reculons de 2020 au dix-septième siècle, puis dans l’ordre chronologique. Je trouve la forme originale, elle me rappelle la trilogie que Max Gallo a consacrée à la ville de Nice, une des lectures que j’avais beaucoup aimé dans mon adolescence. Ici nous allons découvrir quatre récits qui ont pour centre ce rocher et sa région. Les narrateurs n’ont pas de nom, contrairement aux autres personnages de leurs histoires, encore un point de vue original, même si le chanteur est assez facile à reconnaître.

Il y a d’abord L’écrivaine, une Anglaise qui voyage au Mexique pour faire des recherches sur la médecine traditionnelle. Elle se rend au rocher avec son mari et sa fille de trois ans ainsi que d’autres passagers dans un minibus. Elle ne pouvait pas avoir d’enfant, mais elle est tombée enceinte après une cérémonie chamanique et revient remercier les dieux ou l’univers selon un rite indien. On est en 2020, juste au début de l’épidémie de Covid, au moment où les frontières se ferment.

En 1969 un chanteur américain alcoolique, drogué et en conflit avec son groupe s’enfuit au Mexique, il se rend dans un hôtel plutôt luxueux situé près du fameux rocher, il y connaîtra une remise en question. On reconnaît facilement Jim Morrison, mais la suite de son histoire prouve qu’il n’a pas vraiment changé ses mauvaises habitudes. Il est déprimé et ne supporte plus la pression médiatique.

Le troisième personnage s’appelle La fille, c’est une jeune Indienne déportée en 1907 avec de nombreuses autres personnes. L’Etat mexicain parle d’assimiler les Indiens, mais vise plutôt leur extermination. On les force à quitter leurs terres ancestrales pour les vendre comme esclaves dans les plantations du Yucatan. Son histoire et celle de sa soeur Maria Luisa m’a bouleversée. Je ne savais rien de ce génocide.

Le dernier narrateur est le lieutenant, un jeune noble mal aimé que son père oblige à devenir marin. Il sera le premier à cartographier la baie de San Francisco, mais avant ce haut fait il connaîtra un long et dur apprentissage. Il se verra obligé de trahir son meilleur ami qui a pris conscience des horreurs de la colonisation, contrairement à lui. Il est inspiré d’un personnage historique dont on ne sait pas grand chose.

J’ai trouvé ce roman d’une qualité inégale. Les deux parties modernes sont bien moins intéressantes. Par contre les deux parties historiques le sont beaucoup plus. Je ne connaissais pas le génocide dont ont été victimes les Yoemés. On voit que les mêmes mécanismes sont à l’oeuvre à travers le temps pour détruire les plus faibles. On peut dire que la tragédie de ce peuple commence avec la colonisation espagnole. Les Conquistadors n’avaient aucune conscience de la valeur des autres civilisations qu’ils ont détruite sans scrupule. Miguel, l’ami du lieutenant est le premier à prendre conscience de cette horreur, mais les autres dirigeants de la flotte ne peuvent l’entendre, il le considère comme fou et sont prêts à l’exécuter. Malgré leur amitié, le narrateur n’essaie pas de le sauver, l’idéologie dominante est la plus forte et la vie des Indiens n’a aucune valeur pour lui, il n’a pas hésité à tuer un enfant pour l’exemple. J’ai beaucoup aimé ces réflexions sur la colonisation et leurs conséquences tragiques. Les thèmes évoqués dans les deux récits les plus récents ont moins de profondeur. Le chanteur en perdition et défoncé en permanence ne m’inspire guère de compassion. Il est certes victime de son succès mais ne se remet ps en question. Il rêve d’autre chose sans s’en donner les moyens, puisqu’il mourra d’une overdose deux ans plus tard. L’écrivaine et son côté New Age ne m’inspire pas non plus, son couple est sur le point de se séparer et ses réflexions sur l’écologie et la fin de la civilisation restent très superficielles. Les deux personnages les plus marquants sont Miguel et la jeune Indienne qui sauront se montrer solidaires.

J’ai un avis mitigé sur ce livre dont la forme est originale mais dont le contenu ne me plaît qu’à moitié. toutefois sous forme audio il passe très bien, mais je pense que dans un autre format j’aurais trouvé les deux parties modernes bien trop longues et peu intéressantes.

#LeRocherblanc #NetGalleyFrance !

Le coiffeur frise toujours deux fois, de Frédéric Lenormand

Léonard, coiffeur de Marie-Antoinette et Rose Bertin sa marchande de mode sont réquisitionnés par la reine pour enquêter sur le meurtre d’un banquier protestant ami de Necker. Le ministre craint que ce crime ne marque le début d’une nouvelle persécution religieuse tandis que la reine cherche à lui faire plaisir pour obtenir de l’argent dans le but d’améliorer sa bergerie, dont elle désire revêtir l’intérieur de marbre blanc, projet qui déplaît au grand argentier. On suit en parallèle leurs investigations sur les traces d’un banquier pas si irréprochable dont le fils et deux femmes se disputent l’héritage, nos héros auront bien du mal à démêler cet écheveau de mauvaises intentions; et les intrigues de la cour, en particulier l’ascension des Polignac, sous la conduite de Diane, amie manipulatrice de la reine.

Le centre du roman n’est ni le cadre historique, ni l’enquête, dont on ne sait pas comment elle finit vraiment, mais l’humour et les piques incessantes que s’échangent les deux enquêteurs qui semblent se détester, mais sont inséparables. Ils échangent d’innombrables jeux de mots et paroles plus ou moins agréables. C’est drôle au début, mais ça devient vite lassant, j’ai eu l’impression que la forme comptait beaucoup plus que le fond que j’ai trouvé plutôt décevant, l’enquête est assez embrouillée, mais c’est secondaire. Ce qui m’a le plus dérangé, c’est l’aspect caricatural des personnages, autant les héros fictifs qu’historiques. On est à l’aube de la révolution, mais j’ai eu l’impression que l’auteur a surfé joyeusement sur tous les clichés concernant le roi et surtout le reine, présentée comme une écervelée totalement irresponsable, qui ne songe qu’à s’amuser. C’est l’image qu’en a donné la propagande révolutionnaire, certes il n’y a pas de fumée sans feu, mais des ouvrages plus récents remettent en question tous ces clichés et c’est dommage que la Marie Antoinette de ce cosy mystery n’en profite pas. Ce genre d’ouvrages est nettement pus intéressant quand on tient mieux compte du contexte.

J’ai eu surtout l’impression d’un roman humoristique facile qui ne m’a pas convaincue, mais j’en lirai un autre de la série à l’occasion pour avoir un avis plus étayé. L’humour est parfois basé sur des anachronismes (Le parfumeur de la reine lui présente sa nouvelle création le Numéro 5 !) qui font penser au film Les visiteurs.

#LeCoiffeurfrisetoujoursdeuxfois #NetGalleyFrance !

Motus et coeurs cousus, de Léa Volène

Marjorie revient dans son village natal après le décès de ses parents dont elle reprend la maison avec sa fille Anouk, treize ans. Elles ont été rejetées par leur famille qui n’acceptait pas son statut de mère célibataire. Marjorie livre le pain pour le boulanger, ce qui lui permet de connaître les villageois. Son voisin Marcel est handicapé et acariâtre, il passe son temps à espionner les habitants de la rue quand il ne vole pas des fleurs au cimetière. Anouk est justement passionnée par les cimetières et aime dessiner les monuments funéraires, elle se rapproche du vieil homme qui se révèlera bien moins désagréable qu’il n’en a l’air sous ses dessous grincheux. Ruben, un autre voisin fait de délicieuses brioches qu’il fera découvrir à Marjorie, mais elle se montre très réticente à se lier avec les habitants de la rue. Elle reçoit des lettres qui réveille son passé et l’inquiète, mais elle n’est pas la seule à avoir des secrets et un passé douloureux.

J’aime beaucoup la collection Instants suspendus qui nous offre de belles histoires, en particulier des récits d’espoir et de résilience. Ce roman n’y fait pas exception. Marjorie est marquée par une situation de rejet, de plus elle porte un lourd secret et craint les autres. Anouk se lie avec les nouveaux voisins et encourage sa mère à le faire également. Marcel aussi saura s’ouvrir, abandonner sa plus grande peur et prendre un nouveau départ. L’évolution des personnages est intéressante et tous sont attachants, même si Marjorie est agaçante avec ses nombreuses phobies sociales. Marcel est particulièrement réussi, car sous son aspect grincheux, il cache un coeur en or qui se révèle peu à peu.

L’écriture est fluide et très agréable, pleine de poésie. Le début est lent et j’ai eu bien de la peine à savoir de qui parlait Marjorie, mais l’histoire se met en place peu à peu. Toutefois le secret de Marjorie est peu vraisemblable, du moins sa résolution « à l’amiable ». Je doute qu’une telle situation se règle avec quelques papiers chez le juge, sans passer par la case prison. Ce livre met en avant l’importance des relations humaines et de la solidarité, c’est une très belle histoire malgré le point soulevé ci-dessus.

Un grand merci à Mylène de l’Archipel pour cette sympathique découverte.

#Motusetcoeurscousus #NetGalleyFrance !

Un dîner chez Min, de Xiaolong Qiu

J’ai lu ce roman pour valider un challenge, un peu en urgence. Je ne connaissais pas cette série, c’est la première fois que je lis un polar chinois et je ne suis pas très convaincue. En tout cas ce n’est pas un polar comme j’en ai l’habitude, visiblement la guerre entre la Chine et les USA s’étend aussi à ce genre littéraire, car ce livre est l’opposé de ses homologues américains, il n’y a ni suspense, ni véritable enquête et une seule scène d’action, l’essentiel est donc ailleurs.

L’inspecteur Chen est en congé de convalescence avant de prendre son nouveau poste de directeur du bureau de la réforme judiciaire, en fait ce n’est pas une promotion mais une mise au placard car sa sagacité déplaît au pouvoir communiste. Il s’ennuie et décide d’écrire un petit roman sur le juge TI, car il a remarqué des anachronismes dans un de ses romans les plus connus. Il regrette que ce soit un Occidental qui ait donné vie à l’un des héros chinois les plus célèbres. Son ami et ancien collègue, Vieux Chasseur, lui demande de l’aide pour sauver la belle Min, une riche courtisane accusée d’avoir tué sa cuisinière, Sina un homme qui tient à garder l’anonymat, est prêt à leur payer une fortune pour qu’ils fassent libérer la jeune femme détenue par le pouvoir. Chen ne peut enquêter librement car les autorités le surveille par l’entremise de sa secrétaire, entre autres. Toutefois Jin s’avèrera d’un précieux secours pour aider son patron qu’elle admire grandement. L’affaire actuelle et celle du roman de Van Gulik présentent d’étranges similitudes et Chen mettra à profit ses balades dans la ville de Shanghai, ses visites à diverses maisons de thés et restaurants pour mener une enquête discrète.

L’intrigue policière présente bien peu d’intérêt en fait. Il se dégage une impression très oppressante et angoissante de ce roman qui nous parle de la Chine d’aujourd’hui où la surveillance des citoyens est pire que ce qu’avait imaginé Orwell et Chen devra déployer des trésors d’ingéniosité pour mener ses investigations à bien. Le PC contrôle tout et surtout son image, il n’y a pas de place pour la vérité, la vie humaine est bien peu de chose.

Le plus grand intérêt de ce roman est de nous parler de la vie dans la Chine d’aujourd’hui, avec toutes ses limites. On découvre aussi la ville de Shanghai et sa gastronomie. Les réflexions sur le juge Ti sont aussi très intéressantes. L’auteur souligne que la télévision s’est emparé du sujet et se préoccupe peu du contexte historique. Parler d’un sujet ancien permet de détourner la censure et Chen a bien l’intention d’utiliser ce biais pour raconter la véritable histoire de Min, personnage peu sympathique.

Une lecture assez mitigée our cette découverte de ce grand auteur chinois. Il est aussi difficile de s’y retrouver dans cette multitude de personnages au noms exotiques.