Coup de coeur pour ce beau roman historique qui mélange plusieurs genres dont le thriller. Pour un premier roman il est très réussi et il faudra surveiller cette auteure de près.
Nous sommes en 1850 à Londres lors de la préparation de l’exposition universelle qui se tiendra au Crystal palace l’année suivante. Rose et Iris sont jumelles, elles ont vingt ans et travaillent dans la fabrique de poupées de Mme Salter, surnommée Mme Satan vu sa gentillesse. Rose a perdu sa grande beauté après avoir attrapé la variole cinq ans auparavant, tandis que sa soeur souffre d’une déformation de la clavicule de naissance. Elles ont reçu une éducation très stricte à laquelle Rose se plie sans rechigner alors qu’Iris est rebelle depuis toujours, enfin dans les limites de la société de l’époque. Elle rêve d’être peintre. Elle a l’occasion de devenir modèle pour Louis, un peintre du mouvement préraphaélite, ce qui déclenche un grand scandale dans sa famille qui la rejette. Additionnez à cela un gamin des rues misérable et édenté dont la soeur se prostitue pour survivre, un taxidermiste psychopathe, un groupe de peintre, et ajoutez-y l’agitation de Londres lors de l’exposition universelle et sa préparation, les cabarets minables et les principes aussi moralisateurs qu’hypocrites de la société victorienne, vous obtiendrez ce magnifique premier roman tout en clair-obscur. La fin est digne d’un bon thriller.
En dehors de Louis, les autres peintres de leur cercle sont des personnages historiques. Ce roman nous montre à la fois la lumière qui règne sur la ville, avec une grande effervescence intellectuelle, du mouvement dans la peinture avec les préraphaéliques, on devine même les signes avant coureur de l’impressionnisme dans la manière qu’aura Iris d’utiliser la couleur et de sortir des sujets académiques, littéraires ou mythologiques. Les inventions se multiplient et l’immense exposition universelle les met en lumière. Louis est riche, mais c’est bien le seul personnage du roman. Ce livre montre surtout la vie des petites gens et en particulier des plus pauvres. Comme on le sait la société victorienne est marquée par d’énormes différences sociales entre les nantis et les plus misérables. Il n’y pas de classe moyenne, même si certains ne sont pas totalement misérables comme les parents ou la patronne des jumelles. Il y a toutefois une misère très profonde qui touche les orphelins, souvent réduits au vol ou à la prostitution. L’Etat ne fait évidemment rien pour eux, seules quelques dames de la haute société, comme la soeur de Louis, essaient de mettre en place des programmes pour les sortir de cette misère noire. Ce marasme encourage les déviances comme celles de Silas le taxidermiste, sorte de Jack l’Eventreur avec trente ans d’avance.
L’auteure insiste particulièrement sur le manque de considération et les inégalités flagrantes dont sont victimes les femmes, en dressant le portrait des deux soeurs, dont l’une se soumet à l’idéologie du moment tandis que l’autre réclame une plus grande part de liberté et le droit de diriger sa vie par elle-même. Mais cela ne se fait pas sans conflit, avec ses proches ou avec elle-même. La société opprime cruellement les femmes, en particulier les plus pauvres. l’arme principale des dominants est la morale. Une femme qui ne se conduit pas comme attendu est une femme perdue et les plus pauvres qui ont intégré ce modèle n’hésitent pas à écraser de leur mépris leurs compagnes qui sortent du cadre, que ce soit à cause de la misère comme les prostituées ou par désir de liberté. L’exemple de la femme de ménage de Louis qui dédaigne ouvertement Iris est très parlant. Cette dernière fait remarquer à Louis que pour lui vivre en concubinage est considéré comme une liberté artistique tandis qu’elle ne vaut guère mieux aux yeux de sa famille et de la société qu’une prostituée, ce qui lui fera accepter l’idée du mariage à laquelle il s’opposait pour des raisons de principe.
Les personnages sont tous très fouillés et leur psychologie très développée. Ils sont tous différents et forment un système complexe et vraiment très réussi. Ce livre est un coup de coeur pour moi et je le recommande très chaleureusement. Je note aussi la magnifique couverture qui m’a attirée en premier avant de savoir quoi que ce soit sur ce roman.
Un grand merci à Netgalley et aux Presses de la cité pour cette belle découverte.
#LaFabriqueDesPoupées #NetGalleyFrance |
Bonjour Pat. Merci pour ton ressenti enthousiaste sur ce froman, qui devrait me plaire aussi.
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