Sur les terres du loup, de Cherie Dimaline

Joan cherche son mari Victor depuis presque un an. Ils se sont disputés au sujet de la terre qu’elle a hérité de son père, il voulait la vendre à des promoteurs qui leur avait fait une offre mirobolante, mais pour elle, il est hors de question de céder la terre ancestrale. Il est parti couper du bois pour se calmer, mais n’est jamais revenu. Ils s’aimaient passionnément et elle ne peut croire qu’il l’ait quitté, elle le cherche partout sur le territoire de la réserve. C’est une obsession, au point qu’elle n’a pas repris sa place dans l’entreprise familiale de charpenterie, Après un week end arrosé, elle s’arrête au supermarché, sur le parking un chapiteau l’attire. Elle y rencontre un pasteur évangélique qui ressemble trait pour trait à son mari mais dit s’appeler Eugène et ne la reconnaît pas. Elle est certaine de son fait et se lance aux trousses de la congrégation itinérante. Quelques jours après sa grand-mère est mortellement blessée par un chien sauvage ou un loup, mais la soeur de la défunte explique qu’il ne peut pas s’agir d’un animal ordinaire.

Ce roman très dépaysant nous emporte au Canada, dans la communauté métisse qui vit en Ontario. Il nous plonge au coeur des mythes de cette première nation comme on appelle les Indiens et leurs descendants dans ce pays, en particulier celui de Rougarou, le loup garou local. Joan devra l’affronter pour sauver son mari sous emprise avec l’aide de sa grande tante qui en connaît un rayon en matière de magie et de son neveu de douze ans Zeus, délaissé par sa mère et dont elle s’occupe. Les personnages sont tous attachants, Joan en particulier. C’est une battante prête à tout pour retrouver Victor, mais en même temps elle est fragile et complètement déprimée par son départ, elle est très humaine. Elle n’a rien d’une super woman mais elle fera preuve d’un grand courage et d’une grande résilience.

Le fantastique apparaît par touches, malgré la présence de Rougarou, on est dans le monde réel. Je ne connaissais pas du tout les communautés indiennes du Canada, ni leur folklore et j’ai trouvé ce voyage tout à fait passionnant. L’attachement à la terre et à la nature est très fort. Joan a vécu plusieurs années dans le monde des Blancs au Canada et aux USA, mais elle revient toujours aux racines qui l’ont forgée. Le lien à sa famille et à la communauté métisse est aussi fondamental dans son identité et sa famille est haute en couleur. Malgré la présence de Rougarou, l’auteure, issue aussi de cette nation, ne nous cache pas les problèmes très concrets qu’ils affrontent, en particulier avec les promoteurs et les exploitants de mines qui veulent s’emparer des terres des ancêtres. D’ailleurs il ne s’agit même pas des territoires d’origine des tribus qui ont été déplacées au fil du temps par les Blancs qui convoitaient les meilleures terres. Elle dénonce aussi l’utilisation de la religion pour soumettre les Indiens et les détourner de la lutte pour leurs droits, le responsable de la congrégation est particulièrement cynique à cet égard.

Un voyage étrange et enrichissant pour lequel je remercie Netgalley et Buchet-Chastel.

#Surlesterresduloup #NetGalleyFrance !

Eteignez tout et la vie s’allume, de Marc Lévy

Jérémy, passager de troisième classe reste sur le pont, sous la pluie, il rencontre Adèle, passagère de première classe, ça ne vous rappelle pas un certain Jack bien connu ? Ici ce n’est pas le bateau qui fait naufrage, mais le roman de Marc Lévy ! Adèle se rend à l’enterrement de Gianni son grand amour, qui l’a quittée il y a plus de vingt ans, elle a une soixantaine d’années et Jérémy est un jeune organiste qui veut prendre un nouveau départ dans un autre pays. A peine débarqués, Adèle cherche le jeune homme, l’invite à boire un café et finalement ils se rendent ensemble à l’enterrement puis tombent amoureux.

L’histoire est improbable, le titre fait penser à un feel good , mais c’est un roman d’amour peu convaincant. Les personnages sont peu attachants, Adèle est très donneuse de leçon et Jérémy joue les sages malgré son jeune âge, il sait tout sur tout. Les dialogues sont peu naturels, est-ce qu’on aborde un inconnu en lui demandant quelle est sa conception du bonheur ? La thématique d’un couple avec une grosse différence d’âge aurait pu être très intéressante, mais là ce n’est pas réussi. Les personnages sont très artificiels, Adèle est vraiment peu sympathique, elle donne une mauvaise image des personnes mûres. Elle a elle-même vécu un grand amour avec un homme plus âgé dans sa jeunesse et semble vouloir revivre la situation inversée, mais ça ne paraît ni spontané ni naturel. On ne sait pas non plus à quelle époque se situe l’intrigue, elle n’est sûrement pas récente puisque le bateau a une troisième classe où les gens sont à fond de cale.

Les dialogues sont peu naturels et trop grandiloquents, on ne parle pas de cette manière dans la vie. Les personnages tiennent de grand discours sur le sens de la vie, de l’amour et du bonheur, mais ça tombe à plat. Un livre très décevant pour moi, très commercial à mon sens et sans grand intérêt. Merci à Netgalley et Lizzie pour cette écoute.

#Éteigneztoutetlaviesallume #NetGalleyFrance !

Le traité sur l’intolérance, de Richard Malka

Ce livre est la plaidoirie de l’auteur lors du procès en appel de l’attentat de Charlie Hebdo qui s’est déroulé dans la salle Voltaire à qui il se réfère. Il estime – et à très juste titre – que son accusé est le religion, du moins dans sa version la plus obscurantiste. Si le christianisme a beaucoup de choses à se reprocher sur le plan historique, il souligne qu’il a appris de ses erreurs et qu’à l’heure actuelle la religion problématique est l’islam. Ou en tout cas l’une de ses lectures.

Ce livre est très documenté et vraiment passionnant. L’auteur remonte au tout début de l’islam. Le texte s’est d’abord transmis oralement avant d’être écrit plusieurs décennies après la mort de Mahomet. Dès le début, deux écoles se sont affrontées, celle des mutazilites qui pensent que la raison est inséparable de la notion de Dieu, qu’il nous invite à réfléchir et celle des hanbalites qui pensent que le Coran est incréé, issu de Dieu lui-même et qu’il faut s’y soumettre sans aucune interprétation ou réflexion. Les débats ont duré plusieurs siècles mais les seconds l’ont finalement emporté. Les mouvements salafistes et wahhabites d’aujourd’hui sont leur descendants directs. Leurs premières victimes sont les musulmans modérés, les femmes, les minorités sexuelles. C’est contre cet islam radical et violent que s’insurge l’auteur et pas contre toutes les formes religieuses pacifiques comme l’islam modéré.

C’est cette notion de Coran incréé qui est le centre du problème, car si le texte est l’émanation de Dieu lui-même, il est Dieu et ses partisans ne peuvent prôner qu’une soumission absolue, idéologie qui anime les terroristes. Il ne faut pas accepter cette dérive et refuser de respecter les croyances mortifères car notre silence permet à ces idéologies de se développer. Certains textes de l’Ancien Testament sont encore plus explicites et violents que le Coran en matière de châtiments et d’esprit guerrier, mais ils ont été mille fois réinterprétés au cours de l’Histoire et plus personne ne les lit ou les applique littéralement. Personnellement je ne serais pas si optimiste à voir les exactions qui se passent au Proche Orient, mais c’est un autre débat.

Les terroristes prétendent venger le Prophète qui aurait été insulté par les caricatures. L’auteur démontre l’inanité de cette idée. Durant sa vie, Mahomet a subi de nombreuses moqueries, cela faisait partie de la culture de l’époque et personne ne s’entretuait pour si peu. Dans la première partie de sa vie il a cherché à rallier les tribus à sa cause et tenait un discours pacifique, dans la deuxième partie, il est devenu plus belliqueux. Une partie du Coran est très pacifique alors que d’autres versets sont nettement plus guerriers. Le courant hanbalite sorti vainqueur du débat a décrété l’abrogation des versets pacifiques. Comme quoi même les courants littéralistes peuvent se livrer à des interprétations quand ça les arrange. L’auteur appelle à ne pas tolérer cette idéologie violente et dévastatrice. Il nous parle aussi de la vie de Mahomet pour replacer certains versets dans leur contexte, ce qui est essentiel avec un texte ancien, sinon on passe à côté de son vrai sens.

Un texte vraiment instructif, passionnant et surtout nécessaire. Un gros coup de coeur pour ce plaidoyer pour la liberté d’expression.

#Traitésurlintolérance #NetGalleyFrance !

Elle a tes yeux mon amour, de Typhanie Moiny

Amandine, trente-quatre ans assiste de loin à l’enterrement d’Olivier, bien plus âgé qu’elle. Elle n’ose pas braver la famille du défunt qui la rejette violemment. Il a quitté sa femme après de nombreuses années de mariage et deux grands enfants deux ans auparavant, au moment où il a rencontré Amandine par hasard lors d’un accrochage routier. Son couple battait de l’aile et c’est le coup de foudre immédiat. Olivier meurt subitement d’un problème cardiaque et le monde de la jeune femme s’effondre, elle plonge dans la dépression, elle parle continuellement à son compagnon qui lui répond (paroles en italique). Deux mois après le décès, Amandine s’aperçoit contre toute attente qu’elle est enceinte. Elle hésite à garder le bébé. Heureusement son frère Cédric et sa meilleure amie Rose-Marie sont là pour l’épauler. La famille d’Olivier délègue Mathilde, la fille du défunt pour dresser l’inventaire des biens qu’Olivier a emporté à son départ et les récupérer. La rencontre entre les deux jeunes femmes est tendue, elles ont toutes les deux un très fort caractère, mais Amandine remarque tout de suite que Mathilde a hérité des yeux noisettes de son père.

L’écriture est agréable et fluide. Les chapitres alternent entre le présent, marqué par des dates qui nous permettent de suivre Amandine de l’enterrement d’Olivier à la naissance de son bébé et des flashbacks qui portent des intitulés et racontent leur histoire d’amour, qui n’était vraiment pas simple. Il y a une incohérence interne sur l’âge d’Olivier. Il est dit à la fois qu’il a dix ans de plus que le père de son amie et ailleurs qu’il est dans la crise de la cinquantaine, mais le père d’Amandine ne peut pas être dans la quarantaine, à moins de s’être marié à l’école maternelle. Les dialogues entre Olivier et Amandine sont en italique après son décès. Il s’agit clairement d’une voix dans sa tête et pas de manifestation surnaturelle, on est dans un roman feel good et pas dans du fantastique.

Si j’ai globalement apprécié les personnages de ce roman, ce n’est pas le cas d’Amandine. J’ai trouvé le personnage forcé, à la limite de la caricature. Elle est dans un deuil pathologique, parle sans cesse avec Olivier après son décès, ce que je trouve plus que malsain, accumule un déni de grossesse, du moins durant les trois premiers mois. Elle se refuse à se projeter et s’investir dans l’avenir, à tel point que c’est son frère et son amie qui s’occupent de la chambre du bébé. Ce personnage me donne l’impression de se complaire dans son malheur, ces personnes ne suscitent aucune compassion en moi, je dois bien le reconnaître. Les autres personnages sont bien plus attachants. J’ai trouvé celui de Mathilde très convaincant, elle est d’abord dans une colère noire contre Amandine et c’est légitime, puis leur relation va évoluer. Olivier est un ange de patience envers sa compagne, je me demande d’ailleurs comment il peut supporter cette fille profondément insatisfaite, jamais contente, à l’amour dévorant et exigeant. On sent nettement leur différence d’âge et il a une attitude très paternelle envers elle.

C’est un roman feel good, il doit donc nous délivrer un message positif. Il viendra finalement d’Amandine, les autres personnages étant déjà très positifs. A la fin de sa grossesse, elle va enfin saisir l’importance du moment présent, ce qu’Olivier a essayé de lui faire comprendre en vain durant les deux ans de leur relation. Elle comprend qu’elle ne peut pas changer le passé où elle n’a pas su profiter des joies de son amour et qu’elle doit s’inscrire dans le moment présent, que l’avenir se construira ainsi peu à peu. Son évolution est réjouissante, mais elle y met le temps, au début elle était vraiment immature.

J’ai un avis un peu mitigé sur ce livre, que j’ai moins aimé que les autres volumes de cette collection. D’une part j’ai peu apprécié le personnage principal et d’autre part c’est un livre sans surprise, je m’attendais à tout ce qui s’y passe, c’est cousu de fil blanc et très prévisible. Je pense que cette auteure a encore une grande marge de progression. Un grand merci à Mylène de L’Archipel pour cette découverte.

#Elleatesyeuxmonamour #NetGalleyFrance !

L’étrange voyage de Clover Elkin, de Eli Brown

Avec sa magnifique couverture, ce roman m’a tout de suite fait penser à la série Blackwater que j’ai tant aimée l’année dernière, je suis très reconnaissante à Babélio pour cette Masse critique privilégiée qui m’a fait voyager dans l’Amérique de 1822, mais pas tout à fait celle que nous connaissons.

Clover Elkin a treize ans et son père veut en faire un médecin comme lui, il l’initie à l’art de soigner les autres. Surtout il veut la détourner des curiosités, ces objets plus ou moins magiques dont les propriétés sont connues ou pas, sa femme Miniver les collectionnait et il y voit la cause de sa mort. Clover ne se souvient pas de sa mère et son père refuse de répondre à ses questions. Un jour elle trouve une curiosité, le Crochet à glace et le cache dans son sac, mais son père finit par s’en rendre compte et Clover le jette dans le lac près de son village. Peu après, le médecin se fait assassiner par une bande de braconniers et Clover doit s’enfuir. C’est le début d’un étrange voyage dans un pays marqué par une guerre vingt ans auparavant, mais le sénateur Auburn est bien décidé à reprendre les hostilités contre les troupes françaises de Bonaparte. Clover rencontrera de nombreuses personnes sur son chemin, parfois des amis, mais le plus souvent des ennemis. Heureusement elle peut compter sur Susanna, une poupée bien particulière.

On est dans un univers fantasy assez particulier et très bien conçu, un peu steampunk. Les Français possèdent toujours la Louisiane et les Etat-unifiés veulent s’en emparer, mais derrière cette guerre il y a surtout des enjeux économiques. Les curiosités peuvent influer sur l’issue des combats et les deux camps essaient de les accumuler. Certaines sont utiles ou dangereuses, certaines ne servent à rien, mais surtout elles mèneront Clover sur la piste de sa mère. On est loin de l’univers fantasy jeunesse classique de type médiéval et j’ai beaucoup aimé le côté loufoque et décalé de ce roman. Certaines curiosités n’ont aucun sens comme la théière qui verse de la camomille sans fin, alors que d’autres sont des armes très dangereuses. Les personnages sont tous intéressants et bien travaillés, ils ont de la profondeur. J’ai aimé leurs nuances, ils ne sont pas tout blancs ou tout noirs, Nessa trahit Clover, mais elle lui sauve aussi la vie à plusieurs reprises.

Le style est agréable et fluide, le livre se lit facilement et on se sent immergé dans cet univers vraiment étrange. J’ai aussi beaucoup aimé le fait que Clover n’est pas une super woman, bien loin de là. C’est un personnage très humain, qui doute, qui fait de mauvais choix parfois, qui se laisse tenter par la facilité, mais finit toujours par retrouver la bonne voie. Elle essaie de réparer ses erreurs et fait preuve de résilience, elle est très attachante, tout comme Susanna et Nessa. Clover saura surtout se réconcilier avec ses origines et comprendre les secrets que son père ne voulait pas lui révéler. Etant en paix avec elle-même, elle pourra retourner dans son village.

C’est un excellent roman qui plaira autant aux jeunes lecteurs visés qu’aux adultes grâce à cet univers peu commun et une intrigue très bien ficelée. Un grand merci à Babélio et aux Editions Bayard pour cette belle découverte.

Quand tu écouteras cette chanson, de Lola Lafon

Dans le cadre de la très belle collection Une nuit au musée, Lola Lafon choisit le musée Anne Frank à Amsterdam, qui inclut l’Annexe où la famille Frank et cinq de leurs amis ont vécu cachés entre juillet 1942 et août 1944 où ils ont été arrêtés et déportés. Elle hésite longuement à y aller, tombe malade juste avant le départ, mais finalement y va quand même. Sa grand-mère lui a donné une médaille frappée à l’image d’Anne Frank pour ses dix ans, en lui disant de ne jamais oublier. Lola a toujours fait en sorte d’occulter ses racines juives et ce séjour l’oblige à s’y confronter, à se rappeler que son grand-père a survécu à la déportation. Mais le sujet est tabou dans sa famille comme dans de nombreuses familles de rescapés et Lola grandit dans ce silence.

La nuit est longue et blanche, très angoissante. C’est un musée très particulier car il ne célèbre pas une oeuvre mais une absence, l’annexe est vide mais le poids des absents est insupportable. Le musée moderne est relié à l’Annexe où elle passe la nuit, une des expositions est consacrée à la reproduction des photos, cartes postales et images diverses qui tapissent la chambre d’Anne. Lola s’y rend, elle ne peut se résoudre à entrer dans la chambre d’Anne et regarder les images originales, ce qu’elle finira par faire au petit matin juste avant son départ.

Le journal d’Anne Frank est très connu, mais son histoire beaucoup moins. J’ai été très intéressée par cet aspect que je ne connaissais pas du tout, j’ai toujours cru qu’il s’agissait du simple témoignage de cette jeune fille. Mais Anne rêvait de devenir écrivaine, elle a elle-même corrigé et modifié son premier jet pour en faire un texte littéraire. Elle a aussi écrit d’autres textes. Laureen Nussbaum est une des dernières personnes qui a encore connu Anne et la première à étudier son journal comme une oeuvre littéraire à part entière. Dans les années 1950, on écrit une pièce de théâtre d’après le journal, puis Hollywood en fait un film qui a reçu quatre Oscars, mais on trouve l’histoire de la jeune fille trop tragique et on lisse le texte pour en faire une oeuvre de portée plus universelle en gommant tout le contexte historique. On est au début de la construction européenne et on supprime les passages sur le nazisme, ressenti comme politiquement inappropriés dans ce contexte. J’ignorais tout de ces manipulations qui m’ont choquée, c’est comme si on la tuait une deuxième fois.

Ce livre m’a tout de suite fait penser à La carte postale d’Anne Berest, qui raconte aussi avec pudeur l’histoire de sa famille, le poids du silence et des absents. C’est à la fois un document sur Anne Frank,son histoire et celle de la famille de l’auteure qui réfléchit à ce que signifie être juive aujourd’hui. La fin est bouleversante, elle arrive enfin à aller dans la chambre d’Anne et y rend hommage à un autre adolescent qu’elle a connu et qui lui a été victime du génocide perpétré par les Khmers rouges. J’ai lu ce livre en version audio et il m’a beaucoup touchée. Un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette magnifique découverte. Un autre de ces livres indispensables au devoir de mémoire.

A l’ombre de la cité Rimbaud, de Fofana Halimata

Maya est l’ainée de sept enfants, nous la suivons de ses six ans à l’âge adulte. Elle vit dans la banlieue parisienne dans un petit appartement toujours animé et bruyant. Ses parents sont d’origine malienne, analphabètes et très attaché à leurs racines. Le père est plongeur et la mère femme au foyer. Les enfants se succèdent, la mère est épuisée et peu disponible. Mais surtout les parents sont très attachés au modèle éducatif du Mali et pour eux il est essentiel de faire des filles de bonnes épouses et de bonnes mères, qui serviront leur mari. Les coups pleuvent, les interdictions sont très nombreuses, même à l’âge de la maternelle, il n’est pas question que les petites filles jouent avec les garçons. Si Maya est très attachée à Machèle, sa cadette de deux ans, elle a peu de lien avec ses autres frères et soeurs. Les filles et les garçons sont élevés de manière différente, les filles n’ont que des devoirs et doivent participer très activement aux soins du ménage et des plus petits, alors que les garçons ont déjà dès leur plus jeune âge beaucoup de droits. Les filles sont quantité négligeable et doivent intégrer au plus vite la soumission obligatoire à la loi des hommes. Si ce modèle d’un autre temps lui est imposé à la maison, Maya découvre grâce à l’école une autre vision, les parents ne peuvent pas empêcher leurs enfants d’aller à l’école vu que c’est obligatoire, mais ils craignent que cela ne les pervertisse et en fasse des petites Françaises. Maya aime l’école, elle est bonne élève et découvrira la littérature grâce à une professeur du lycée, avant de céder pour un temps aux pressions familiales.

Maya est prise en étau entre ces deux modèles, elle devra apprendre à ruser et à mentir pour avoir un peu de répit. Elle ne rejette pas ses parents et comprend rapidement qu’ils ne peuvent faire autrement, ils ne connaissent pas d’autres modèles et n’ont pas profité des apprentissages des enfants pour évoluer. La cité est peuplée de nombreux immigrés africains qui perpétuent leurs traditions alors que leurs enfants essaient de conjuguer leurs racines avec la culture occidentale.

A l’âge de six ans, Maya vit son plus grand traumatisme, lors de vacances au Mali, elle est excisée. Elle comprend vite que c’est la volonté de ses parents et qu’elle doit taire sa douleur. D’ailleurs la meilleure amie de sa mère, qui habite dans la même cité pratiquera cette mutilation sur ses deux petites soeurs. Pour les parents, il ne s’agit pas de maltraitance, mais dans la croyance populaire, une femme non excisée est impure et ne saurait trouver un mari convenable. Près de vingt ans plus tard, elle subira une opération pour restaurer ce qui peut l’être comme de nombreuses victimes de ces pratiques.

L’histoire de Maya est tirée de la vie de l’auteure devenue un militante très active contre l’excision. L’abandon de ces pratiques passe par l’éducation des femmes, en particulier des mères, qui même si elles en souffrent beaucoup perpétuent la tradition, car il est difficile pour elles d’y voir une mutilation et non une nécessité pour le bonheur futur de leurs filles, même si en tant qu’Occidentale cette notion du bonheur me paraît relever du cauchemar, qui a envie d’être soumise à un mari violent qui a tous les droits ?

Maya m’a beaucoup touchée, en particulier sa façon de conjuguer sa culture d’origine et la nôtre, on imagine sans peine ses difficultés et aussi son bonheur avec la découverte de la littérature française. Les instituteurs ferment les yeux sur les maltraitances dont sont victimes les enfants, non par indifférence mais plutôt par culpabilité. Ils n’osent pas imposer nos normes et se mêler de la culture des parents, pensant que la colonisation a déjà fait assez de dégâts. Une institutrice dit à la mère de Maya qu’il ne faut pas battre les enfants, mais celle-ci ne comprend pas comment se faire obéir sans les frapper. La culture est totalement patriarcale et les femmes sont à peine plus que des animaux domestiques, j’ai évidemment trouvé cela très choquant, on peine à croire que tant de gens dans nos sociétés puissent connaître un tel décalage culturel. Je trouve indispensable de lire ce témoignage, un très grand merci à Netgalley et aux Editions du Rocher pour cette magnifique découverte.

#AlombredelacitéRimbaud #NetGalleyFrance !

Marina, de Carlos Ruiz Zafon

Gros coup de coeur pour ce magnifique roman, j’ai découvert cet auteur grâce au livre audio lu par Frédéric Meaux. Sa voix chaleureuse m’a emportée dans une Barcelone bien loin de celle que j’ai visitée à deux reprises, une ville mystérieuse. L’auteur dit plusieurs fois que la ville du roman n’existe plus, et c’est bien dommage, car il m’a donné très envie d’y retourner. Ce roman est envoutant et le lecteur nous permet de nous immerger complètement dans l’intrigue, on devient Oscar.

Oscar, quinze ans, vit dans un pensionnat depuis des années, il a peu de lien avec ses parents toujours en voyage. Son plus grand plaisir est d’explorer la ville qu’il connait assez bien. L’école est située dans un quartier périphérique où se trouvent de nombreuses demeures autrefois somptueuses et plus ou moins laissées à l’abandon en 1979 et qu’il aime explorer. Il s’introduit dans l’une d’elle car il est intrigué par un chant qui s’en échappe, il explore le salon, ramasse une vieille montre cassée pour l’examiner et constate avec surprise que la maison est habitée, effrayé il s’enfuit sans demander son reste. Quelques jours après, il y retourne pour rapporter la montre qu’il a gardée sans le vouloir, ce qui lui permet de rencontrer Marina, une fille de son âge qui vit avec son père German dans la grande maison à moitié en ruine. Ils sympathisent rapidement et la jeune fille l’invite le dimanche suivant pour lui montrer un vieux cimetière qu’il ne connaît pas encore. Le comportement d’une vieille dame l’intrigue, elle se recueille chaque dimanche sur une tombe anonyme ornée seulement d’un papillon noir. Oscar et Marina observent cette personne de loin et décident de la suivre discrètement, ce qui les mène dans un étrange jardin d’hiver abandonné. A ce moment, le fantastique fait irruption dans le roman, les deux héros n’auront de cesse de résoudre ce mystère et de savoir à qui appartient cette tombe.

L’intrigue est très bien ficelée et le suspense très présent. Le fantastique n’est pas lourd, il apparaît par touches dans les moments clés de l’intrigue. Plus que l’histoire elle-même j’ai beaucoup apprécié l’ambiance gothique qui l’entoure. Barcelone est un personnage du roman, mais une ville nimbée de mystère et de nostalgie, une ville disparue dont ne survit que des décombres oubliés comme le grand théâtre royal ou le cimetière abandonné, la Barcelone des années 1920/30. Ce livre m’a rappelé Le grand Meaulnes, un autre de mes coups de coeur d’adolescente dont je n’ai jamais oublié l’ambiance, Marina aussi va me hanter longtemps. On flotte entre rêves et réalités, même si ici le rêve a souvent une dimension de cauchemar.

Les personnages sont très attachants, Marina ne révèle son secret qu’à la fin, même si des indices permettant de le deviner sont semés tout au long du récit. L’écriture est très immersive, on devient Oscar. J’ai été aussi très touchée par le père dont la vie est marquée par le deuil, ainsi que par l’amour qui lie les trois héros. Le roman oscille avec brio entre plusieurs genres, enquête, fantastique, histoire d’amour, mais c’est surtout un récit initiatique que nous livre Oscar. A travers ce passé disparu et son amour sans avenir, même s’il ne le sait pas encore, il nous dit l’importance de vivre intensément le présent. La nostalgie d’un passé magnifique est très présente à travers la description de nombreux lieux abandonnés dont il se dégage une ambiance magique et envoutante.

Un livre vraiment magnifique qu’il ne faut pas manquer, je le recommande très chaleureusement et je remercie Netgalley et Audiolib pour cette découverte.

#Marina #NetGalleyFrance !

Inheritance games, de Jennifer Lynn Barnes

Avery vit chez sa soeur et rêve de décrocher une bourse pour aller à l’université. Elle apprend que Tobias Hawthorne lui a légué toute sa fortune, ne laissant que des miettes à ses filles et à ses quatre petits-fils. Il ne s’agit pas de quelques milliers de dollars, mais de quarante-six milliards et ils n’ont aucun lien de parenté. Toutefois pour toucher son héritage à sa majorité, Avery doit habiter durant un an dans la maison Hawthorne avec le reste de la famille. Il s’agit d’une demeure immense avec de nombreuses pièces, des passages secrets et plusieurs ailes, mais surtout un vrai nid de vipères. Les quatre petits fils pensent que leur grand père leur a lassé une énigme à résoudre selon son habitude, l’un d’eux se montre particulièrement hostile envers la jeune femme qu’il considère comme une intrigante qui aurait séduit le vieil homme, mais la réalité se révèlera bien plus complexe. Avery ne connaissait pas Tobias et n’avait aucune idée de son projet, elle veut aussi en comprendre la raison. Avery s’allie tantôt avec l’un des garçons, tantôt avec un autre pour essayer de résoudre l’énigme laissée par Tobias, mais elle doit prendre garde car sa vie est menacée. Elle ne peut même plus faire confiance à sa soeur, sous l’emprise de son petit ami violent, elle comprend vite que la vie de riche n’est pas un long fleuve tranquille.

Il y a du suspense, c’est un trhiller YA très agréable, on se prend vite au jeu. Les garçons ont de nombreux secrets et leurs parents sont prêts à tout pour évincer l’intruse, ce qui nous garantit une ambiance gratinée. Toutefois les personnages manquent un peu de profondeur, on sent bien que ce roman est destiné à des adolescents. Les garçons sont presque plus intéressants, car moins transparents qu’Avery, les relations complexes entre eux faites d’affection et de rivalité sont bien décrites. Avery change cette dynamique au gré de ses alliances. Dans l’ensemble, Avery n’est pas un personnage attachant, elle est très auto-centrée. D’ailleurs Max, sa seule amie lui reprochera son égoïsme. L’intrigue n’est pas très vraisemblable, le monde des riches décrit dans le livre correspond à tous les clichés les plus convenus sur le sujet. La romance s’annonce pour les tomes suivant avec un triangle amoureux.

Le livre est découpé en chapitres courts qui nous tiennent en haleine, avec une écriture addictive. J’ai beaucoup apprécié la lecture d’Audrey d’Hulstère qui sait nous emporter dans cette intrigue foisonnante. Sa voix douce convient très bien aux personnages. J’ai trouvé ce roman bien adapté à la lecture audio, qui permet une immersion totale dans la chasse aux énigmes avec Avery et les garçons. Je compte continuer la série également en audio. Un roman sympa, surtout destiné aux adolescents. Un grand merci à Netgalley et Lizzie pour cette découverte.

#InheritanceGames #NetGalleyFrance !

Le carnet des rancunes, de Jacques Expert

Sébastien Desmichel est un Français moyen comme il se plaît à l’affirmer, comptable, divorcé avec deux grands enfants, conduisant une Twingo rouge, toutefois il sort de la norme par son caractère rancunier, vraiment très rancunier. Il note dans son petit carnet toutes les crasses qu’on lui a fait subir depuis son enfance et comme la vengeance est un plat qui se mange froid, il a décidé de se venger à cinquante ans. Pour chaque personne il a consigné son adresse, sa description et surtout sa faute, bien décidé à la punir par là où elle a péché. Il y a de tout, un caïd de collège, un ami qui a refusé de prendre parti lors du divorce, celui qui a séduit son ex-femme etc. Mais surtout il y a Yannick, qu’il se réserve pour la fin et dont la faute mérite la mort selon Sébastien. Chaque chapitre est consacré à une rancune, mais pour son ennemi, il n’est pas question d’expédier son châtiment. Cette vengeance traverse le livre, on apprendra seulement à la fin ce qu’il reproche à cet homme, mais il va s’ingénier à lui pourrir la vie durant de longs mois, s’en prenant également à sa famille. Sa femme panique, elle sait que son mari est un entrepreneur au bras long et peu regardant qui a d’innombrables ennemis, mais ni la police ni les mafieux mis sur la trace de Sébastien ne parviennent à contenir la menace. Et durant ce temps notre comptable, soutenu par Dominique sa nouvelle compagne met à exécution ses projets de vengeance, dont certaines frisent le ridicule, comme lorsqu’il saccage le jardin de son ancien voisin.

Il s’agit d’un polar léger et plein d’humour noir, une lecture sans prise de tête car l’intrigue ne résiste pas à une analyse serrée, Sébastien n’est pas très crédible et on se demande dans la réalité comment un petit comptable pourrait défier la police et des tueurs professionnels. De plus il n’est pas très sympathique avec ses rancunes démesurées. L’écriture est simple et agréable. Je n’ai absolument pas vu venir le dénouement qui m’a scotchée. On est très vite emporté par l’univers un peu bizarre de notre héros. J’ai beaucoup apprécié la lecture de Thomas Séraphine dont le voix se prête très bien à ce personnage déjanté. Il ne faut pas prendre cette intrigue au premier degré, mais c’est un excellent divertissement.

Ce qui me frappe le plus chez Sébastien c’est son manque de résilience, il est incapable de passer à autre chose. Si ses griefs contre Yannick sont fondés, pour le reste il s’agit de broutilles qui ne valent pas de s’y arrêter le plus souvent. Il se pose sans cesse en victime, rien n’est jamais de sa faute et à chaque difficulté de la vie, il fait une dépression. Il accuse son camarade de collège, devenu son nouveau patron, mais pas pour longtemps, d’être responsable de la perte d’estime qu’il a subi et qui aurait déterminé toute la suite de sa vie, disons que c’est un peu facile. Ce trait de caractère ne me le rend vraiment pas sympathique ni attachant. J’ai passé un très bon moment avec cette lecture légère qui ne révolutionne pas le genre mais se révèle très agréable. un grand merci à Netgalley et Audiolib pour cette découverte.

#LeCarnetdesrancunes #NetGalleyFrance !